Autoscopie

Remerciements à Benoit Lemieux pour son travail dans le cadre du cours PPA6015.


A.    Autres appellations

Protocole, micro-enseignement, vidéoformation, rétroaction vidéo, cercle d'étude vidéo, pratique assistée par vidéo, hétéroscopie, vidéoscopie, rappel stimulé, video feedback, videotape review, videotape analysis, micro-teaching

  

B.    Origine historique

À l'origine, l’autoscopie consistait typiquement en l’enregistrement audio ou vidéo d'une situation réelle qui était ensuite utilisé pour aider le participant à se souvenir des pensées qu'il avait eues au  moment d'agir (Calderhead, 1961; McConnell, 1985). Toutefois, cette méthode a grandement évolué pour mieux s'adapter aux besoins d'apprentissage dans le contexte d'enseignement actuel. Il s’agit essentiellement d’une formule permettant aux apprenants d’obtenir une rétroaction à partir de l’enregistrement de leur comportement dans une situation réelle.

La situation réelle peut être une performance d’étudiant – par exemple, l’enregistrement d’une démonstration sportive, athlétique ou même d’une manipulation en laboratoire. L’enseignant peut aussi fournir un enregistrement qui servira de modèle. Dans tous les cas, la vidéo ne contient aucun commentaire, interprétation ni narration. Ensuite, la vidéo ou l’enregistrement audio pourront faire l’objet d’analyse, de critique, de discussion ou de rétroaction individuellement ou en groupe afin que l’étudiant puisse corriger ou améliorer sa performance, avec l’assistance d’un enseignant, tuteur ou coach.

 
C. Description

On parle d’autoscopie lorsqu’on place l’étudiant face à sa propre performance filmée dans le but de l’amener à modifier ses comportements et ses attitudes. En effet, selon Bourron et Denneville (1991), la vidéo offre une image manifeste de l’apprenant, ce qui l’amène à s’efforcer de porter un jugement critique sur lui-même et à accepter le regard des autres et leurs remarques. L’autoscopie aide ainsi l’étudiant à modifier son image, son attitude, à corriger certains comportements inappropriés, à mieux se connaître et à acquérir de nouvelles pratiques ou techniques (Bourron et Denneville, 1991). Quant à l’hétéroscopie, soit le visionnement de la performance d’autrui, elle offre à l’étudiant l’occasion de réagir en tant qu’observateur extérieur sans être affecté personnellement.

Dans le milieu de l’éducation, cette approche a donné lieu au « microenseignement », utilisé pour la formation des futurs enseignants ou intervenants en éducation, et décrit par Hattie (2008) comme une formule pédagogique particulièrement efficace. On peut faire un rapprochement entre cette approche et certaines méthodologies relevant de la recherche qualitative : le rappel stimulé, l’entretien d’explicitation et l’autoconfrontation croisée. Bien que visant la recherche, ces méthodologies peuvent parfois être utilisées de manière avantageuse en contexte de formation.

 

D.    Explication des liens avec les théories de l’apprentissage

L’autoscopie peut être associée aux théories cognitiviste et constructiviste. D’ailleurs, l’enregistrement vidéo de la performance de l’étudiant favorise la métacognition, puisqu’il provoque un retour sur ses perceptions antérieures au moyen de sa propre analyse de sa performance, de la reconstitution des processus mentaux utilisés lors de sa performance et d’une prise de conscience qui se traduit par une verbalisation. De plus, à partir de cette dernière, les observateurs (les pairs) peuvent aussi acquérir d’importantes connaissances en analysant la performance de l’autre. Ainsi, il s’agit de partager des réflexions pratiques dans un sens constructif (Tochon, 1996).

  

E.    Contextes appropriés

  • Développement d’habiletés motrices ou techniques (ex. : éducation physique, sport, musique, manipulations médicales)
  • Enseignement
  • Développement de compétences en communication (apprentissage d’une langue) et en relations interpersonnelles (ex. : enseignement, négociation, consultation médicale)
  • Évaluation de la gestuelle et du langage non verbal (ex. : vente, danse)
  • Exercices de simulation ou de jeu de rôle
  • Démonstrations médiatisées

 
Cette méthode est particulièrement efficace lorsque le sujet doit prendre du recul par rapport à sa performance, l’explication des processus cognitifs impliqués dans l’accomplissement de sa tâche nuisant à l’exécution de la tâche elle-même. Elle est utile pour l’acquisition de connaissances procédurales, la vidéo permettant de décortiquer les gestes, de faire des arrêts ou retours sur images et de rejouer la performance au ralenti.

 

F. Avantages et limites

Avantages

Pour l’étudiant

  • Fournit une rétroaction immédiate, objective et précise.
  • Permet de retracer les stratégies cognitives employées lors de la performance et de les évaluer (si elles sont discutées peu après la performance).
  • Offre une meilleure connaissance de soi-même.
  • Améliore la perception de ses propres comportements.
  • L’aide à apprécier sa progression.
  • Offre un plus grand contrôle sur son apprentissage.
  • Développe sa capacité à s’autoévaluer et à évaluer ses collègues.
  • Offre l’occasion de revoir sa performance plusieurs fois.


Pour l’enseignant

  • N’interfère pas avec la performance, puisque l’analyse se déroule après celle-ci.
  • Situe l’action dans son contexte lors de son analyse.
  • Permet de donner une rétroaction dans l’action au cours de l’exécution d’une tâche ou d’une performance et de soutenir ainsi l’acquisition de connaissances procédurales et conditionnelles.
  • Aide à retracer les stratégies cognitives employées par l’étudiant lors de la performance et à les évaluer.
  • Permet d’évaluer la progression de l’élève.
  • La capture vidéo offre la possibilité technique de ralentir l’action, de figer l’image, de zoomer, etc.

 

Limites

Pour l’étudiant

  • Peut susciter une inquiétude chez certains élèves introvertis, surtout si la performance est visionnée par la classe entière.
  • Soumet l’élève à la subjectivité du cadrage lors de la prise de vue.
  • Peut provoquer une réaction négative chez certains élèves placés face à leur propre image.

Pour l’enseignant

  • Requiert du temps pour enregistrer et visionner les performances.
  • Nécessite la maîtrise du matériel de captation audio/vidéo.
  • Peut s’avérer fastidieux si chaque étudiant d’un groupe nombreux est évalué ainsi.

 

G.    Conditions d’efficacité

  • Bien définir les objectifs d’apprentissage de l’exercice avant l’enregistrement de la performance et établir une grille d’analyse adéquate.
  • Adapter l’exercice en fonction des objectifs (ex. : acquisition d’une technique : simulation; compétences interpersonnelles : jeu de rôle).
  • Tenir compte de la subjectivité qu’implique le cadrage lors de l’enregistrement de la performance vidéo.
  • Tenir la session de rétroaction assez tôt après la performance, de façon que le souvenir des stratégies cognitives employées par les élèves soit le plus clair possible.
  • Combiner la formule du protocole avec d’autres méthodes de collecte de données réflexives (journal de bord, groupe de discussion, grille d’analyse, etc.) pour faciliter l’analyse et diminuer le temps requis.
  • Poser des questions ouvertes aux étudiants lors de l’analyse pour susciter chez eux réflexion et prise de conscience.
  • Proposer aux élèves de prendre le contrôle de la vidéo et d’arrêter eux-mêmes la bande aux moments qui leur inspirent une réflexion ou un commentaire.
  • Procéder à une phase de synthèse après l’analyse des performances pour mettre en relief les points à retenir et ainsi formaliser les connaissances pour les élèves. Cette synthèse peut être organisée sous forme de réseaux de concepts de façon à établir des liens avec la théorie ainsi qu’à synthétiser et formaliser les connaissances acquises par la rétroaction.

  

H. Possibilités d’utilisation des technologies de l’information de cette méthode    

Enregistrement vidéo ou audio : La formule de la rétroaction vidéo implique nécessairement l’utilisation de médias vidéo ou audio, ceux-ci constituant le sujet de l’analyse permettant l’acquisition et la construction des connaissances. Différents logiciels et outils technologiques peuvent toutefois être employés pour les diverses étapes du travail. Pour la captation, la caméra numérique se révèle utile, mais la qualité et la facilité d’utilisation des caméras intégrées aux téléphones intelligents les rendent particulièrement propices. Si l’activité à observer se réalise sur ordinateur, les logiciels de vidéocapture d’écran (ex. : Camtasia, Screencast-o-matic ou même Quick Time) peuvent s’avérer particulièrement intéressants, car non seulement on enregistre alors l’activité à l’écran, mais on capture aussi la vidéo de la personne qui manipule l’ordinateur ou la tablette grâce à la caméra Web intégrée. Dans le domaine de l’éducation physique et du sport, voire de la formation musicale, on dispose de logiciels permettant au formateur d’effectuer des annotations et des commentaires sur la captation vidéo (ex : Coach’s Eye de Techsmith, Kinésiocapture pour iPAD, ou Kinovea, un équivalent libre). À noter que ces logiciels sont utilisés avec une tablette ou un téléphone intelligent, ce qui facilite la captation vidéo par les étudiants.

Les technologies d’enregistrement vidéo servent enfin à enregistrer une séance de visionnement où la performance exécutée est discutée avec un pair ou un formateur.

  • Plateforme de cours / Réseaux sociaux (groupes privés) / Hôte en ligne (privé) : Il est de plus en plus facile de publier les enregistrements en ligne (modèles ou ceux des étudiants) et de rendre ainsi plus flexible l’organisation du temps requis pour le visionnement du matériel (utilisation de YouTube, Viméo). Il est possible de publier pour un groupe restreint d’utilisateurs dans YouTube ou dans Vimeo. Ces plateformes peuvent aussi servir à la mise sur pied d’un répertoire d’enregistrements (liste de lecture) illustrant un ensemble de compétences à acquérir dans le cadre d’un cours et que les étudiants sont ensuite appelés à analyser.

  • Plateforme collaborative d'analyse: Dans le cas d'une hétéroscopie, c'est à dire une autoscopie faite en groupe où les étudiants échangent des commentaires les uns sur les vidéos des autres, une plateforme collaborative d'analyse comme VideoAnt ou Videonot.es peuvent faciliter l'échange et contextualiser les commentaires à des moments précis de l'écoute de la vidéo.

  • Forum/Clavardage : Une fois les enregistrements publiés, ces ressources permettent les échanges entre enseignant/étudiants et entre étudiants. Chacun peut ainsi faire part de son analyse et de ses critiques d’un enregistrement et les partager avec ses collègues. De cette façon, les étudiants participent à la construction d’un savoir commun.

 

  • Wiki : Un site collaboratif de type wiki peut être mis à la disposition des élèves pour formaliser les connaissances acquises au cours de l’exercice à partir des analyses, discussions et rétroactions suscitées par la ou les vidéos. Les élèves font eux-mêmes la synthèse de la matière et se corrigent entre eux sous l’œil de l’enseignant, qui peut intervenir lui aussi pour corriger certaines imprécisions. Un tel site constitue une excellente ressource de révision et d’étude en vue d’un examen sommatif.

 

 

Références


Baribeau, C. (1996). La rétroaction vidéo et la construction des données. Revues des sciences de l’éducation, 22 (3), 577.


Bourron, Y. et Denneville, J. (1991). Se voir en vidéo : pédagogie de l’autoscopie. Paris : Éditions d’Organisation.

Calderhead, J. (1981). Stimulated recall: A method for research on teaching. British Journal of Educational Psychology, 51, 211 -217.

Chamberland, G., Lavoie, L. et Marquis, D. (2007). Le protocole. Dans 20 formules pédagogiques (p. 59-63). Sainte-Foy : Presses de l’Université du Québec.

Hodges, N.J., Chua, R. et Franks, I.M. (2003). The role of video in facilitating perception and action of a novel coordination movement. Journal of Motor Behavior, 35 (3), 247-260.

McConnell, D. (1985). Learning from audiovisual media: Assessing students' thoughts by stimulated recall. Journal of Educational Television, 11(3), 177-187.

Sherer, L.A., Chang, M.C., Meredith, J.W. et Battistella, F.D. (2003). Videotape review leads to rapid and sustainined learning. American Journal of Surgery, 185 (6), 516-520.

Smalridge, B., Donahue, J., Champlain Regional College et Programme d’aide à la recherche sur l’enseignement et l’apprentissage, Québec (1990). Video based simulations in second language acquisition (No. 1531-0104). Saint-Lambert : Champlain Regional College.

Tochon, F. V. (1996). Rappel stimulé, objectivation clinique, réflexion partagée : fondements méthodologiques et applications pratiques de la rétroaction vidéo en recherche et en formation. Revue des sciences de l’éducation, 22 (3), 467.


Résumés de quelques références pertinentes

1- Bourron, Y. et Denneville, J. (1991) Se voir en vidéo : pédagogie de l’autoscopie. Paris : Éditions d’Organisation.
Mots-clés : autoscopie, image de soi, critique, méthodologie
Dans cet ouvrage, les auteurs s’intéressent d’abord aux mécanismes psychologiques engendrés par la confrontation de l’individu avec sa propre image, vue de l’extérieur. Ils expliquent ensuite comment l’interprétation faite par l’individu de son image peut l’amener à modifier ses comportements et ses attitudes. Enfin, les auteurs proposent une méthodologie pour tirer le meilleur parti de l’autoscopie en fonction des objectifs d’apprentissage et du type d’aptitude à développer (expression orale, travail en équipe, gestes et non-verbal).

2- Baribeau, C. (1996). La rétroaction vidéo et la construction des données. Revues des sciences de l’éducation, 22 (3), 577.
Mots-clés : rétroaction vidéo, formation des maîtres, méthodologie
Cet article fait état de l’utilisation de la rétroaction vidéo dans la formation des maîtres, des types d’informations rétrospectives qu’il est possible d’en tirer et des connaissances qu’elle fournit à propos du phénomène complexe que constitue la réflexion d’enseignant, le tout à partir d’exemples et de résultats tirés des recherches de l’auteure.

3- Chamberland, G., Lavoie, L. et Marquis, D. (1995). Le protocole. Dans 20 formules pédagogiques (p. 59-63). Sainte-Foy : Presses de l’Université du Québec.
Mots-clés : protocole, avantages, limites, conditions d’utilisation
Livre de référence sur différentes méthodes d’enseignement. L’auteur consacre un chapitre à la description de la méthode d’enseignement qu’elle nomme protocole. Elle présente aussi les avantages et les limites de la méthode ainsi que les conditions d’utilisation.

4- Hodges, N.J., Chua, R. et Franks, I.M. (2003). The role of video in facilitating perception and action of a novel coordination movement. Journal of Motor Behavior, 35 (3), 247-260.
Mots-clés : rétroaction vidéo, démonstration, kinésiologie
Cet article présente les résultats d’une étude menée par un groupe de recherche en kinésiologie sur le rôle de la rétroaction vidéo dans l’assimilation et la mémorisation d’une suite de mouvements coordonnés. L’étude tente surtout de prouver que la rétroaction vidéo, combinée à la démonstration d’un mouvement, est plus efficace que la démonstration seule pour aider le sujet à bien exécuter ce mouvement.

5- Sherer, L.A., Chang, M.C., Meredith, J.W. et Battistella, F.D. (2003). Videotape review leads to rapid and sustainined learning. American Journal of Surgery, 185 (6), 516-520.
Mots-clés : Rétroaction vidéo, exécution d’un protocole, médecine
Cet article met en relief l’efficacité de la rétroaction vidéo dans le contexte de l’apprentissage d’une procédure précise, soit un protocole d’intervention en salle d’urgence d’un hôpital. Les auteurs constatent que le visionnement de leurs actions sur vidéo par les futurs médecins est beaucoup plus efficace pour l’apprentissage du protocole que la rétroaction verbale ou écrite venant de leurs superviseurs.

6- Tochon, F. V. (1996). Rappel stimulé, objectivation clinique, réflexion partagée : fondements méthodologiques et applications pratiques de la rétroaction vidéo en recherche et en formation. Revue des sciences de l’éducation, 22 (3), 467.
Mots-clés : rétroaction vidéo, historique, méthodologie
Cet article dresse un historique de l’évolution des aspects méthodologiques et des usages de la rétroaction vidéo en tant qu’outil de formation et de recherche en pédagogie. L’auteur présente cette évolution en identifiant trois générations d’objectifs visés par cette méthode : 1) stimuler le rappel des pensées interactives du sujet; 2) susciter la prise de conscience du sujet; 3) partager la réflexion sur l’action. Il présente également la rétroaction vidéo sous forme de trois approches méthodologiques, chacune pouvant contribuer à sa manière à l’apprentissage ou à l’avancement des connaissances en éducation.